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J’ai passé toute la journée chez elle, à me suis branlé partout, dans toutes les pièces, sur les chaises, dans le lit, partout. Je m’en foutais de laisser de preuves, ils ne m’arrêteraient jamais. Ils ne me connaissaient pas. Je pouvais bien laisser mon sperme et mes empreintes, rien ne me relierait à cet appartement de merde, et ils n’avaient pas de dossier sur moi.
J’ai fouillé, j’ai feuilleté les magazines et les bouquins, j’ai lu le courrier, les factures et les recettes de cuisine, le programme télé, j’ai essayé des fringues, j’en ai massacré d’autres. J’ai piqué le fric et les médocs. Je me suis intéressé à ses clopes et à son gode, je me suis enculé avec et c’était pas. J’ai pissé et chié dans son lit, sur son tapis, sur des photos d’enfants. J’ai essayé de reconstituer sa vie. J’ai rassemblé ses fiches de salaire et ses tickets de caisse. J’ai étudié un calendrier avec des dates entourées ou cochées. J’ai observé ses chaussures, ses fleurs, sa salle de bain, sa décoration.
C’était une pute. Une salope. Elle lisait des journaux féminins et quelques livres de poésie ringarde. Elle avait une dizaine de paires de basket et beaucoup de maquillage, aucune marque de prédilection, des couleurs de lycéennes. Elle se maquillait, s’habillait et se comportait comme une pétasse. Elle était secrétaire. Un type lui envoyait beaucoup de lettres de cul. Elle se godait souvent.
C’était une salope, la même salope que ma mère. Tout ça avait un sens finalement, et il suffisait d’additionner les faits, avec froideur et lucidité, pour le trouver. La conclusion éclatait et il était impossible de s’en détourner.
A la la fin de la journée, j’en ai eu marre de me branler et de fouiller. J’avais fait le tour. Il était temps de partir. J’ai récupéré six cent francs en liquide et et des bijoux que je pouvais revendre. J’ai quitté l’appartement à la nuit tombée. J’ai repris sa voiture et j’ai roulé un bon moment.
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Dans une autre ville, j’ai fait des achats, quelques objets indispensables, sacs-poubelle, scie, marteau, serpillères, gants de ménage, destop en poudre. Dans un coin paumé au milieu d’un bois j’ai emballé les morceaux dans les sacs et j’ai mélangé avec beaucoup de poudre. J’ai creusé plein de trous et j’ai enterré tout ça.
Je suis reparti. J’ai abandonné la voiture, clés sur le contact, sur le parking d’une gare, dans une patelin. J’ai pris le premier TER et suis descendu à la première petite ville. J’ai dormi à l’hôtel, j’ai mangé, je me suis promené parmi les gens, je me sentais vide. J’ignorais ce que j’allais faire. Cette pulsion qui m’avait conduit jusque là s’était éteinte avec la mort de la salope. Elle reviendrait, bien sûr, heureusement, mais en attendant je ne savais pas quoi faire, je n’avais aucun but, aucun projet, aucune énergie pour rien. ce soir-là j’aurais aussi bien pu me suicider. J’y ai songé. Après tout, j’avais fait ce que je devais et plus rien ne me retenait. Exactement comme mon père, exactement comme mon grand-père. Ce qui ma sauvé, c’était la certitude que cette pulsion délicieuse reviendrait un jour, qu’un jour de nouveau je me sentirai vivant, qu’un jour de nouveau son énergie et sa violence m’illumineraient comme je l’avais été ces derniers temps. Mais en attendant, je n’étais plus rien. Aussi bien, j’aurais pu m’allonger dans ma chambre d’hôtel et attendre, hiberner. Pourtant il me fallait survivre, en attendant que la vie revienne.
Dans cet hôtel j’ai passé la pire nuit de mon existence, à anticiper ce qui m’attendait, cet enfer terne et troué de temps en temps par la vie, par le plaisir, tellement puissant que ça valait le coup. Tout se déroulerait tout à fait comme mon enfance. Mon enfance avait été l’avant-goût de toute mon existence. Vivre m’était interdit. Je mangerai, dormirai, chierai, trouverai du fric et j’attendrai de redevenir moi-même. J’attendrai les démons. Ils reviendraient m’apporter le bonheur. J’ai pris le train pour Paris.
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En vingt ans, j’ai habité toutes sortes d’endroits et j’ai fait des tas de choses pour survivre. Je trouvais ça morose. Je consacrais mon énergie à élaborer mon nouveau sanctuaire. Je ne pouvais pas m’y rendre souvent. Je guettais les pulsions comme un amoureux guette les signes de son sentiment. Les moments où je me réveillais. J’étais l’inverse d’un loup-garou, moi que cette malédiction poussait à être humain la plupart de mon temps.
J’ai vécu dans un hôtel, le genre qu’on paye au mois. Je vendais de la came. Je passais mes journées dans un square rempli d’Arabes et de tox. Les Arabes, des vieux, parlaient entre eux et les tox étaient là pour moi. Il y avait souvent des bagarres à coups de couteaux. Une fois, un black en a découpé un autre à la machette, devant moi, en lui foutant un grand coup de bas en haut. J’ai été impressionné. Je prenais de la coke et de l’héro et je n’avais pas beaucoup d’argent, juste assez pour survivre. Ma chambre était minuscule. Il y avait un lit à sommier métallique, une armoire et une télé. Je passais tout mon temps libre à prendre de l’héro et à regarder la télé et tout mon temps de travail assis sur le banc à prendre de la coke et à dealer. Il a fallu que je me batte, je le faisais sans plaisir. Au début j’avais un couteau, je suis vite passé au flingue. J’étais sur mon banc entre vingt-deux heures et sept heures du matin et le reste du temps dans ma piaule. Les flics ne nous faisaient pas chier, sauf lorsqu’il y avait un mort, soit overdose, soit coup de couteau. Là, ils viraient tout le monde et en foutaient deux ou trois en taule. A chaque fois, j’étais assez malin pour voir venir le coup. Je ne me suis jamais fait arrêter. Le mec de l’hôtel était un indic mais il n’a jamais bavé sur moi. Je lui foutais la trouille.