Voici le premier texte que j'écris de toute ma vie.
Ce texte est ce que j'ai besoin de dire right here right now.
Bonne lecture !
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Je n'étais pas triste , je me rendais compte que je perdais ma personnalité. Pour un texte en « je », il m'arrive enfin le pas. C'est de mélancolie dont il s'agit.
Je les ai abandonné cet été, au retour des fruits et légumes, surtout des fruits. Un stage où les gens sourient tous ensemble du premier matin au dernier soir, où tous les amis si uniques s'émmergent en une sphère de sérénité, étanche à l'égoïsme, la pudeur et l'angoisse. Là bas, les collines demeurent pour te rappeler que plus tu grimpe, meilleur est le paysage. Alors tu grimpes et tu attends. La forêt avait raison, et l'air de la vallée du Rhône n'en dit pas plus. C'était une courte vie de communauté simple et attentionnée qui s'exténuait autour du fief de la bonté paysanne. Faut bien vivre avec son temps. Nous étions une trentaine à nous lever avec le soleil pour des journées de complicité et de jeux à ramasser de l'argent qui sentait bon l'innocence.
La météo vaguait et l'orage se dissipait. Car même si j'en pense le début de l'histoire, la fureur dans mes esprits était déjà là. Avant l'été déjà, j'étais enclin à une débandade spirituelle qui croquait son monde à bon train.
La véritable chute a commencé physique, un intestin qui saute pour couper l'ambition du spontané. Deux jours à l'hôpital pour un mois qui n'aura pas existé, c'était le mois de juin. Un mois de canapé-canal+ qui aura arrêté mon élan social. Aucun effort de quelconque part pour entamer un vaste balayage.
C'est sans définir de catégories ni tracer de lignes que j'annonce que dans la vie je ne regrette rien, je suis heureux, ouvert et musicien. Et pourtant il manquait pas mal de choses.
Elle est vraiment belle.
Passer un mois dans la Drôme entre les abricotiers et le vignes m'a laissé rattraper le train. Je n'avais plus beaucoup à pédaler pour arriver au sommet de la balance. Me retrouver seul dans cette cuisine avec la radio et le vent était épuration. Passer des journées entières sans dire autre chose que Bonjour ok merci aurevoir au patron et aller s'essouffler entre les inflorescences et les sarments armé d'une vendangette. Trois repas par jours livré à soi même avec ses propres moyens et ses propres biens. C'était la première fois.
Après ça va vite, quelques jours à la plage, histoire de dire que j'y étais. Puis quelques jours aux Pays-Bas, hop, de retour en TGV au domicile pour obtenir le permis de conduire et stop.
L'inscription à la fac était déjà faite, il ne me restait plus qu'à laisser voguer la routine. L'emploi du temps est léger et le logement rêvé s'en va, je ne travaille pas, fume et bois. Les semaines passent sans que le boulot soit suffisant pour me plonger dedans et pourtant ils s'accumule. La promo est bien, quelques chouilles entre collègues, courtoisie et hypocrisie. Le temps passe sans accrocs. Le temps, je le tue à reporter le travail, toujours à me dire qu'il faudrait que je fasses ci et ça mais jamais reporter trop bientôt pour pouvoir se reposer l'esprit. Que les journées paraissent libres et pleines de potentiel temps vues de loin. Et pourtant quand on s'en approche en courant on ne s'y attarde pas et on se laisse emporter par l'élan. Comme une inertie plongeante qui happe les idées, la motivation, l'ambition, la mémoire, le jugement, l'attention, la pensée s'en va tellement elle est jetée loin devant à ne plus la distinguer du rêve de la réalité. Je me retrouve avec une espèce d'entité nouvelle en moi, comme un spectre défini par son absence. Si seulement je pense, c'est seulement à un triste vide mal comblé qui regarde la fête de loin en soupirant d'un gros néant toute la stupide merde de glande qui me mène depuis tant. Parce qu'autour de moi, la joie semble perdurer, serais-je le seul à avoir été inéluctablement rempli de rien jusqu'à la dernière goutte ?
Le problème avec cette invasion, c'est qu'on ne la voit pas venir, elle n'existe pas. Mais quand on la devine, une peur survient, la peur que ce vide dans toute sa splendeur se remplisse de mauvaises choses sans aucun contrôle. Comme un seau vide qu'on enfoncerait dans la mer jusqu'à ce que le bord atteigne la surface de l'eau, il suffit alors d'appuyer un peu plus ou d'une petite vague pour que le seau se remplisse de tout son tour et coule comme un bloc. C'est cette peur là. Une soirée passée avec des communistes extrémistes, la peur de se faire embrigader convaincu par leurs belles idées. J'en étais pas loin. Les chants révolutionnaires sont chouettes.
Ce vide de rien se baladait sans pensées jusqu'au lundi 12 novembre.
Un mouvement de grève s'abat sur l'université, opportunité pour rattraper les cours et travailler sur les dossiers à rendre. Ou bien, aller voir les grévistes, c'est toujours bon de rencontrer des gens. C'est alors que je passe le lundi à côtoyer leurs barricades pour en savoir un peu plus sur eux. J'écoute bon nombre de conversations, les arguments fusent, petit lapin qui pisse derrière la tente, Loi Pécresse, le gouvernement, les étudiants, bloqueurs versus anti-bloqueurs. Tout un discours de gauchistes qui profitent de tenir les locaux pour siffler des joints et fumer des bières. Contact avec les anarchistes, revoila nos communistes, et d'autres lutte ouvrière et différents syndicats. Tout un monde ! Des personnes de tous horizons avec leurs ambitions qui sont capable de tenir un discours argumenté sur ce qui leur tient à coeur, utopies et rêves, mais au moins ils pensent à quelque chose ! Je tombe sous le charme de ce flot de bonne volonté affirmée. De nouveaux visages, de nouveaux débats, si c'est ça la fac, alors j'aime la fac et je veux défendre cette fac.
Alors le lendemain je reviens, c'est le jour de la grande AG avec son vote décisif sur la poursuite du blocage. C'est oui, le blocage est reconduit à une semaine renouvelable, Le campus est désormais sous le contrôle de l'occupation. La journée passée avec eux, puis le lendemain, puis des nuits ...
et elle ...
Elle est engagée, elle est très belle. Si on me demandait pourquoi, réellement, j'ai suivi cette semaine d'occupation de près, ce n'est peut être pas pour l'enrichissement politique ou humain, social ou quoique ce soit, c'est seulement pour être un peu plus près d'elle. On s'est rencontrés, on a discuté et j'ai appris plein de belles choses. Comment ouvrir les yeux ? Pourquoi les gens crient ? Qu'est ce que c'est que le communisme ? Comment on manipule les foules ? En quoi les médias nous mentent ? Comment on fait ? D'où vient l'ambition ? Qu'est ce que le bonheur ? Pourquoi lire des livres ? Et si tout n'était qu'un jeu ? En quoi un sourire peut faire tomber des hommes ? Je sais maintenant que le vide que je connais est une pauvre façade que la simple intervention de ma dame peut chopper et écraser contre un mur pour briser la coquille qui s'avérait être un bête miroir qui ne reflétait que l'amertume masquée de la vie citadine ! Elle m'a sauvé avec ses mots. Elle m'a sorti du trou avec ce qu'elle est. Elle est géniale. On court ensemble dans un champ en fleurs, le soleil baisse le son et le vent envoûte la chaleur. On roule en voiture les cheveux au vent en soir d'automne le long d'une orange vallée déserte. On fouette les vagues du haut du trois-mâts entourés de bleus claqués par le sel vivifiant. On va vite. On sauve des enfants de la guerre. On sauve le monde de la famine. On sauve la planète de l'humanité. On explose la voie lactée de tous ses maux...
Et si seulement c'était possible. Je n'ai jamais osé lui parler, sa beauté réelle me tétanise, peut être un sourire béat. C'est encore vide. Elle me manque.
Aujourd'hui.