Le deutérium:
Description : isotope d'hydrogène
Utilisation militaire : têtes thermonucléaires et recherche sur la fusion inertielle
Utilisation civile : recherche sur la fusion contrôlée comme source d'énergie
Production : traitement de l'eau ordinaire, hydrogène industriel ou gaz de synthèse ammoniac
Radioactivité : non actif
Commentaire : matière thermonucléaire
Le deutérium est un isotope stable d'hydrogène avec un proton et un neutron. L'hydrogène lui-même ne possède qu'un proton. Aux températures ordinaires, le deutérium (D2) existe sous forme de gaz. A l'état naturel, le deutérium se trouve dans toutes les sources d'hydrogène y compris l'eau ordinaire, mais en petite fraction de l'ordre des 0,014 %. L'eau où l'essentiel de l'hydrogène est remplacé par le deutérium s'appelle l'eau lourde, soit quelquefois simplement le deutérium. Afin que l'eau soit utilisable pour les fins nucléaires, la concentration de D2 doit être supérieure à 99,7 % [SocChi (69?)]. Bien que le deutérium ne soit pas radioactif, il est important du point de vue du nucléaire militaire aussi bien que civil.
Le deutérium est une matière thermonucléaire. Autrement dit, deux atomes de deutérium ou encore un atome de deutérium et un atome de tritium peuvent se combiner ou fusionner à des températures très élevées pour produire un atome plus lourd, l'hélium, en même temps qu'ils dégagent de l'énergie. La réaction deutérium-tritium s'opère plus rapidement aux températures réalisables que les autres réactions de fusion.
Production
La méthode la plus répandue de produire le deutérium ou l'eau lourde au niveau industriel est le traitement de l'eau ordinaire par distillation, électrolyse ou échange isotopique pour en augmenter le pourcentage de deutérium. On peut également traiter l'hydrogène industriel ou le gaz de synthèse ammoniac, eux-mêmes provenant du traitement du gaz naturel ou du pétrole. Le deutérium lui-même est extrait de l'eau lourde ³par voie électrolytique².
Utilisation militaire
Les fabricants d'armements utilisent la réaction de fusion dans les têtes à fission dopée et dans les têtes thermonucléaires.
Dans les têtes à fission dopée, la réaction de fusion n'augmente pas directement la puissance de la tête. La fusion dans ce cas est utilisée principalement pour la libération en grande quantité de neutrons qui augmentent l'efficacité de la réaction de fission.
Les matières thermonucléaires sont toujours situées dans ou près du c|ur qui subit la réaction de fission. Aux Etats Unis, et vraisemblablement en France, les militaires utilisent normalement le deutérium et le tritium sous forme de gaz, soit le deutérium et l'hydrure de lithium, qui génère le tritium.
Les têtes thermonucléaires sont constituées d'au moins deux étages. Un engin à fission amorce une réaction de fusion qui libère des quantités énormes d'énergie, directement en augmentant la puissance de la tête. L'engin à fission peut lui-même être dopé d'isotopes thermonucléaires pour augmenter son efficacité. Pour l'étape de fusion, les Américains utilisent principalement un solide, le deutéride de lithium 6 (LiD), l'équivalent du deutérium et du tritium [NRDC 84]. Les Français pourraient utiliser le deutéro-tritiure de lithium 6 (DTLi) [CDRPC 94].
Les chercheurs militaires utilisent également le deutérium et le tritium dans les cibles des accélérateurs pour étudier la fusion à confinement inertiel. Ce type de fusion peut simuler les essais en grandeur des têtes nucléaires actuelles et également assister à créer des armements ³avancés². Ces expérimentations ont lieu notamment dans les centres de la DAM, au Cesta et à Limeil.
Utilisation civile
A des fins civiles, les chercheurs utilisent le deutérium dans les expérimentations sur la fusion contrôlée. A Cadarache, le CEA en association avec Euratom étudie la fusion contrôlée au moyen du tokamak Tore Supra utilisant un mélange de deutérium et de tritium sous forme de plasma.
L'eau lourde a la capacité de ralentir ou ³modérer² les neutrons sans en absorber beaucoup. Elle est ainsi utilisée comme modérateur avec du combustible à l'uranium naturel. Les réacteurs qui fonctionnent avec ce combustible sont souvent choisis pour la production de plutonium par des pays qui veulent fabriquer des bombes parce que l'enrichissement de l'uranium est une étape difficile et coûteux à réaliser. Donc l'acquisition d'eau lourde peut grandement faciliter la fabrication d'une bombe aussi bien que la production d'énergie.
Sources françaises
Le CEA a étudié les différents procédés de production d'eau lourde en lien avec l'industrie privée. Quatre de ces procédés ont été essayés dans des installations pilotes : électrolyse et distillation de l'eau, distillation de l'hydrogène liquide, échange isotopique H2O-H2S, échange isotopique NH3-H2. Un pilote industriel a fonctionné à Toulouse pendant une année environ et une usine à Mazingarbe (Nord) a également fonctionné entre 1967 et 1972. Elle a été mise à l'arrêt à cause d'une explosion.
La plus grande partie de l'eau lourde en France a été importée de Norvège et des Etats-Unis, selon certaines sources, y compris l'eau lourde des réacteurs Célestin destinés à produire le tritium militaire (60-80 t d'eau lourde chacun). Les réacteurs civils mis en service en France avant 1967 ont demandé 150 t d'eau lourde au maximum. L'usine de Mazingarbe n'a produit que 80 t au maximum. La France en avait importé 140 t de Norvège et 168 t des Etats-Unis avant 1967, date de la mise en service de Célestin 1. Pour acquérir l'eau lourde américaine, la France a "promis" de l'utiliser à des fins non militaires ; les termes de l'importation norvégienne n'ont pas été rendus publics.
Les réacteurs de puissance perdent en moyenne 1 % de leur eau lourde par an mais les réacteurs de recherche et les Célestin, vraisemblablement moins [Milhollin 87-88]. Donc la plus grande quantité d'eau lourde acquise avant 1967 est encore en France. De l'eau lourde est stockée à Saclay et à Cadarache.
La source française de production du deutérium gazeux n'est pas évidente, mais il est probable qu'elle ait lieu à Grenoble (voir Grenoble). Une autre possibilité est la production de deutérium comme sous-produit de l'extraction du tritium des cibles à Marcoule. Dans les années soixante, on a extrait le deutérium de cette façon à Saclay [CDRPC 94].