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http://www.liberation.fr/actualite/societe/236896.FR.php"Il disait : «Quand je serai mort, vous verrez mon nom sur la ville.» Pour qui lève la tête à Montpellier, «Zoka» est partout. En grosses lettres blanches accrochées aux plus hautes cheminées de la place de la Comédie, en lettres de sang dans le tunnel du tramway. Zoka, c'était le deuxième nom de Jonathan, un jeune homme grand et maigre qui aurait eu 25 ans en juin, son «blaze», en langage graff. «Il prenait des risques énormes pour écrire son nom. J'ai du mal à comprendre», murmure Yann, son père.
Comme ce 27 janvier 2007, un samedi soir qui avait débuté presque comme les autres. Trois copains graffeurs retrouvés à la terrasse d'un café, une bouteille de whisky et des bières pour se donner du courage, un premier graff bombé vers 22 h 30, puis un deuxième. Quand soudain, Jonathan, alias Zoka, se lance en solo. Il est une heure du matin. Ses amis ont à peine le temps de le voir escalader la gouttière qu'il est déjà sur le toit du cinéma Capitole, dominant la rue, bombe de peinture en poche.
«SMB». Julien (1) le rejoint, Adrien reste en bas. Benjamin s'éclipse. Mais leurs gestes sont interceptés par les innombrables caméras de surveillance municipale qui balayent la ville. Prévenue, la police envoie une équipe de la BAC. Arrivés vers 1 h 30 du matin, les trois flics en civil se planquent pendant dix minutes pour observer les trois jeunes hommes. De son perchoir, Zoka dessine en noir le contour d'un énorme «SMB», pour «suce ma bite», clin d'oeil à NTM et nom de leur crew (groupe de graffeurs) depuis des années. Julien l'assiste en remplissant les lettres de vert. Mais sa bombe est vide, et il décide de redescendre.
C'est le moment choisi par les policiers pour intervenir. Adrien et Julien sont plaqués au sol et menottés. De là-haut, Jonathan voit la scène. Il y a à peine trois mois qu'il a quitté son bracelet électronique, porté d'août à octobre en remplacement d'une peine de prison ferme prononcée en appel l'an dernier pour cause de graffs. Il faut dire que la mairie de Montpellier, qui s'était portée partie civile, ne rigole pas avec les tagueurs, qu'elle qualifie de «délinquants», «organisés en gang», et contre lesquels elle a mis en place un plan de «lutte antitag».
Jonathan, condamné en même temps à neuf mois avec sursis et dix-huit mois de mise à l'épreuve, sait que cette fois c'est la prison qui l'attend. Déjà, le bracelet, il l'avait mal supporté. Obligé de rentrer chez lui à 16 h, juste après sa journée de travail au McDo, il s'était mis à peindre quelques toiles à la bombe, mais «avait la rage de ne pas pouvoir sortir», assure son amie, Chloé. En cette nuit de fin janvier, il s'enfuit sur les toits. «Jonathan savait que, en partant là-bas, il n'y avait pas de deuxième sortie. On était déjà allé voir et on se prenait les pieds dans les câbles», raconte Adrien.
Deux flics et deux pompiers équipés de torches partent à sa poursuite, utilisant une grande échelle apportée tente cinq minutes plus tard. Ils abandonnent au bout d'une demi-heure, jugeant que s'aventurer plus loin «devenait dangereux» et «pensant qu'il était descendu», affirme le chargé de communication de la police. Ce n'est que le lendemain, en début d'après-midi, qu'Adrien et Julien, toujours en garde à vue, apprennent la nouvelle. Un riverain du cinéma vient de retrouver Jonathan gisant sur son balcon, ensanglanté. Transporté à l'hôpital dans le coma, il décède douze jours plus tard. Plus d'une centaine d'amis et de graffeurs viendront lui rendre hommage en une marche silencieuse. Depuis, chacun cherche à comprendre. «Pourquoi des enfants sont prêts à mettre leur vie en danger pour aller toujours plus haut ?» se demande son père Yann. Vis-à-vis de ce père journaliste de télévision à Paris, «John avait toujours envie de prouver qu'il avait de la valeur», tout en ayant «l'impression de ne jamais réussir à lui plaire», se souvient Chloé.
«Adrénaline». Jonathan a trois ans quand sa mère vient s'installer près de Montpellier après son divorce. A 16 ans, il monte à Paris vivre chez ce père qu'il «admire» tout en entamant un CAP de dessin. Très vite, il laisse tomber. Il vit dans une chambre de bonne, se sent «un peu perdu», selon Chloé. Il trouve avec les graffeurs une seconde famille. Le crew SMB l'adopte. Jonathan devient Zoka. Lui qui avait commencé à taguer à 13 ans dans son village héraultais vient d'entrer dans la cour des grands. Celle du graff «vandale», distinct du simple tag par sa lettrine renflée et qui «se pratique en toute illégalité et consiste à repérer les meilleures places pour toucher le plus de gens», explique Benjamin. «La pression d'être sur un toit, la peur des flics et le plaisir de graffer, ça apporte de l'adrénaline», raconte Julien. «C'est une sorte de drogue. On ne voit pas comment arrêter», ajoute Benjamin.
Rival. Quand Jonathan s'installe à Montpellier en 2002, graffer «le rend euphorique». Dans ce milieu fermé, où «tout le monde se tire la bourre», cette «forte tête» s'adjuge les emplacements les plus hauts, les plus en vue. Comme sur le toit fatal du cinéma, sur lequel il inscrit, en 2005, «SMB» et «ZOKA». «C'était peut-être le graff le plus respecté sur la Comédie. Car c'était un toit qui se voyait plus que les autres», raconte Julien. Visible même depuis le McDo, ce qui faisait «sa fierté». Mais, en novembre dernier, un membre d'un crew rival, le 347, ose l'affront suprême : «repasser» le graff de Zoka, à savoir bomber son propre sigle par-dessus. Le lendemain, tous les graffeurs de la ville étaient au courant. Jonathan, qui s'était calmé depuis sa condamnation, a compris qu'il s'était fait oublier. «C'est comme si sa personnalité dans le graff était morte», analyse Benjamin. Pour lui qui était «tout le temps dans la comparaison», le graff était «le domaine dans lequel il était sûr de son talent», relate Chloé. Licencié du McDo début janvier, devenu maussade depuis sa condamnation, nargué en permanence par le honni «347» graffé sur «son» toit, ce samedi soir-là, il s'est dit «j'y vais». "