(suite)
La place du mort poursuit son petit bonhomme de chemin. Je suis très fier de vous dire qu'il y a une chronique de ce roman dans le nouveau numéro d'Obsküre mag (paru en principe aujourd'hui, mais j'ai pas encore mis la main dessus). Fier pourquoi ? Parce que, après la critique de Poésie portable dans TGV mag, qui était le premier papier, sur un de mes bouquins, dans un canard à diffusion nationale, la critique de La place du mort dans Obsküre mag est mon premier papier dans un canard payant et diffusé en kiosque. C'est une putain d'étape importante, à mes yeux. Personne n'arrêtera plus mon ascension, prochaine étape, boire une pinte au Flore en utilisant le crâne à Sollers comme chopine.
En attendant, voici quelques nouveaux retours de lecteurs :
« La place Du Mort lu dans une voiture, puis terminé dans une chambre d'enfant rose avec posters de One Direction & J.Bieber : DONE ! J'ai préféré Nuit Noire, mais j'ai beaucoup aimé le passage sur le passé de Sammy ! »
(Reçu par message Facebook)
« Lu la place du mort de C. Siébert.
Si tu regardes la bête alors la bête te regarde... Je crois que
c'est Frédo la Moustache qui a dit ça mais je ne suis pas sûr... Inutile de dire qu'en lisant le bouquin de Siébert tu vois bien les deux yeux luisant de l'immonde te fixer régulièrement.
L’édition
Note à camion noir : ARRETEZ AVEC VOS SERIES Z A B C OU DELTA. Il n'y a que des livres, ou de la merde. On n'élève pas des poulets, et on ne calibre pas des pommes. On œuvre !
Le prix est élevé... Pfff, trop élevé. Mais ça je connais la chanson de l'imprimeur qui te voit arriver toi et ta petite maison d' édition et qui t'allume à bloc parce que tu lui demande un nombre d'exemplaires restreint et que ça le fait chier. Du coup ton bouquin avec une couverture au grammage anorexique se retrouve au prix de l'argent ou de l'or parfois même. La colle est bien, ça tient bien. Le visuel mouais, on a vu pire on a vu mieux. La mise en page OK, la police de caractères plutôt bien : agréable à lire, ne fait pas mal à la tête. Une coquille, deux sûrement. Je ne vois pas C. S. faire une faute d'accord aussi grossière.
La Forme
Formellement, C. S. écrit plutôt bien. Bien mieux que beaucoup aussi, et moins bien que d'autres. Mais si on commence à parler de Dostoïevski, d'Ellis ou de Costes... Bon je laisse Despentes de coté : on pense à elle en lisant ce bouquin mais je trouve qu'on est plus proche d'Ellis que de l'égérie goudou punk des années 90. D'ailleurs ces accumulations de virgules à l'américaine, même maîtrisées, ne sont pas ce qui est le plus efficace dans mon esprit malade. La musique des mots produite en français n'est pas la même qu'en anglais. Quand parfois il passe au point/nouvelle phrase, c'est bien... Bien bien mieux à mon goût. Peu de dialogues, il n'y en a véritablement qu'un, et finalement c'est une réussite. Le plaisir par la frustration est un classique indémodable. C'est aussi très professionnel. On dirait un premier livre. En tant qu'éditeur à la retraite je dirais : lâche-toi! LACHE-TOI ! Mots valises, accumulations erratiques et autres nonsenses qui font sens auraient fait mon bonheur. Je crois aussi qu'un jour C. S. devrait envisager plus long, plus fortement structuré. Là on est assis le cul entre le rythme et les exigences du pulp et une œuvre plus complexe, plus fouillée. Le bouquin se lit vite, trop ou pas assez... Sensation étrange que de ce
point de vue formel C. S. n'a pas voulu déranger l'éditeur, partir dans quelques longueurs... Je le comprends, les directeurs de collection sont d'une telle frilosité de nos jours qu'ils ont besoin d'anoraks au mois d'août.
Le fond
Autant vous dire que si vous voulez passer un moment agréable ça ne sera pas le cas. A moins que vous ayez de fortes tendances metanihil comme il dit, et que le chaos est la destruction soient vos hobby du dimanche. Mais vous passerez un moment rare d'intensité maléfique. Garanti. L'ouvrage grattouille donc un nihilisme adolescent issu d'une réaction à la culture sex/drogue/Rock'n'roll. Le vide, le néant comme seule issue. OK... OK. C’est pas nouveau, mais c'est très bien exprimé. Il en expose avec délectation le potentiel pratique inexploité jusqu’alors. Mais alors, quid des sentiments reliant la communauté de l'anal décrits par l'héroïne instigatrice de ce regroupement infernal de paumés ? Quels sont ils ? Quelle est leur essence même ? Je crois que ce point du récit est faible...
On retrouve par ci par la de petites fulgurances métaphorique tout à fait originales et plaisantes. Finalement ce bouquin a une vertu principale: c'est de nous faire réagir et tape la ou ça fait encore bien mal. Il nous révèle à notre part d'ombre, ne nous laisse pas nous complaire dans les qualités que nous nous attribuons facilement entre deux bouffées d'ego. C. S. ne voit pas la vie en rose et c'est bien ainsi. Il n'est pas la pour vous flatter, ni pour vous plaire et c'est assez rare de nos jours pour être souligné.
Est ce que je l'aurais édité. Oui. même si je ne comprends pas, ne suis pas dans cette démarche, je la trouve pertinente et intéressante. Et surtout, il y a un début de style, un début de panache, qui mériterait qu'on lui laisse le temps et les moyens de s'exprimer. »
(Reçu par mail)
« Salut Christophe,
J'ai fini La place... Fourbu mais jubilant, quel style, quel souffle, comment tu fais pour écrire un marathon à l'allure d'un sprint ?! Chapeau ! J'ai craint sur la fin que la Miss Néant vienne cramer mes toiles, mais non.. Déjà qu'elle m'avait donné l'envie de reprendre la clope, la garce !
Bises, et encore bravo, j'ai joui ! »
(Reçu par mail)
« Bon, oui, effectivement, j'ai traîné, trop occupé à me promener un peu n'importe où les cheveux en l'air et la tête dans la rentrée littéraire. Pas à lire La place du mort, non, mais à te faire un retour à ce sujet.
Déjà, quand je te dis que j'en ai lu des passages entiers à ma copine, qui a adoré (au point de me piquer le livre, donc), ça pèse un peu plus lourd que ce que tu peux penser : je ne lui lis comme ça, à haute voix, que les passages particulièrement excellents - j'entends, très bien écrits, vifs, d'une intelligence presque déroutante - des ouvrages que j'ai entre les mains. Là, par exemple, disons qu'elle m'a lu de beaux passages des textes sur le Funambule de Genêt, tandis que je lui ai offert quelques extraits bien troublants de La Place du mort, de Siébert.
Ensuite, faut aussi savoir que le traitement du cul, en général, dans un roman, et même s'il ne s'agit pas là non plus de l'essence complète de ton texte, me plaît franchement rarement, et me fait plutôt même bailler. Pas là, tu l'auras compris. Plus généralement, j'ai retrouvé dans La place du mort cette écriture incandescente (le terme est galvaudé, mais j'en fais vraiment rarement usage), d'une puissante monstrueuse (au sens propre - puissance et gueule cassée), que j'avais aimé dans tes autres textes que j'ai eu l'occasion de lire.
Même la cavalcade en tant que telle, avec ces épisodes qu'on pourrait estimer à tort (c'est à dire de l'extérieur) rattachés à une forme de fureur adolescente qui, là encore, serait susceptible de me faire somnoler, sans même parler de cette fascination maso-fétichiste de ton héroïne pour les brûlures de poitrine (l'outil de sa survie, mais aussi la marque de sa malédiction), résonnent d'une manière tout à fait particulière, en Grand, dans ma tête, encore aujourd'hui et sans doute pour un moment.
Quant à l'écriture, revenons-y deux secondes quand même : sur le fond, désolé de te dire ça à brûle-pourpoint, mais elle dénote une intelligence rarement égalée / tout est juste, tout est pertinent, tout est saisissant dans sa cruelle emphase, dans ses débordements haineux. Et sur la forme, là aussi, mazette, c'est loin d'être aussi dégueulasse que le propos pourrait l'autoriser (de manière facile, fainéante, et donc lassante). Putain, tu le sais sans doute déjà, et je n'aime pas trop utiliser le terme de "tripes" dans une recension, mais bon, disons pudiquement que tu es un sacré écrivain.
Je souhaite le mieux du monde pour ce bouquin, et vais veiller, à mon petit niveau, à contribuer à ce qu'il en soit ainsi. »
(Reçu par mail)
Et avant de vous raconter le dernier truc dont je voulais vous parler aujourd'hui, une petite annonce : il y a Rémi Teulière (un auteur de La Grosse, ça ne vous aura pas échappé), qui lance une souscription pour son prochain recueil de nouvelle. Toutes les infos sont ici :
http://fr.ulule.com/reves-cauchemars/Le 7 août dernier, j'ai exécuté mon deuxième Rituel Drone, et c'était le premier que je jouais devant un public – et pas n'importe quel public, puisqu'il s'agissait des patients de l'unité Désiré Bourneville du Centre Psychothérapique de l'Ain, à Bourg-en-Bresse, sous la houlette de Vivian Grezzini, et dans le cadre d'un projet thérapeutique qui a pour cadre, entre autres, l'organisation des concerts à destination des patients, des concerts de harsh, de grind, de toutes sortes de musiques bruitistes, en fait. Les patients ne sont pas des psychotiques, pas des junks, pas des suicidaires, c'est pas ce genre-là. Ce sont plutôt des handicapés mentaux sévères, souvent de naissance, et du genre bien lourd, il y a Jean-Paul (oui, alors, les prénoms ont été changé suite à la demande de mon cerveau, totalement dépassé dès qu'il s'agit de se souvenir de ce genre de détail) qui demande toutes les cinq minutes à quelle heure ça commence, et qui trimbale un livre de coloriage ; il y a Anne, qui porte des couches et ne parle pas vraiment ; il y a Thierry, qui se bave dessus (et qui m'a ruiné le micro de salive quand je le lui ai passé, mais ça valait le coup, parce qu'il a envoyé de putains de hurlements de sa mère, ho, yeah) ; il y a Sabine, qui doit avoir dix-neuf ou vingt balais et qui se jette à ton cou et t'embrasse comme une môme de trois ans, ça fait drôle ; il y a tous les autres, Jackie qui a tendance à mordre ses camarade, Henri qui a des croûtes plein le crâne – il est chauve et il tombe beaucoup, j'imagine ? –, Frank qui hurle et applaudit toutes les cinq minutes, Marc dont le principal plaisir est d'aider à ranger le matos une fois que c'est terminé ; il y a ceux qui m'ont dit que j'étais un poète, que c'était bien et qu'en plus ça faisait dormir, il y a ceux qui ont dessiné l'affiche et qui me l'ont donnée (et, petit message destiné aux orgas : c'est la première fois qu'on me file un original, les mecs) ; il y a ceux qui ont trépigné pendant l'installation, ceux qui m'ont scruté pendant les balances, mention spéciale à Georges, qui pendant tout le set s'est tenu presque contre moi, très sage, hyper attentif, le regard rivé à ma liseuse et aux instruments, il y a ceux qui hurlaient pendant la lecture, ceux qui hurlaient pendant les passages musicaux (et quand je parle de hurlement, il ne faut pas imaginer le glapissement glauque façon asile psychiatrique anglais du dix-neuvième siècle, nonon, plutôt le gueulot extatique et joyeux d'un trippé de naissance), il y a ceux qui chantaient, ceux qui écoutaient, ceux qui applaudissaient à tout rompre, ceux qui avaient l'air attentif, il y a ceux qui se sont succédés au micro après le set pour y crier des trucs inintelligibles et très beaux. Merci à Louis d'avoir surveillé notre consommation de café et de clopes (car c'est mauvais pour la santé), merci à tous et toutes de m'avoir accueilli chez eux, dans leur vie quotidienne, et d'avoir échangé avec moi avant et après le concert, c'était formidable, merci à Vivian pour l'orga sans faille et à ses camarades infirmiers pour leur soutien, mention spéciale à une jeune infirmière ou aide-soignante dont j'ai oublié le nom et qui avait l'air terrorisée, je ne sais pas si c'était le public chaud comme la braise ou les saloperies que je disais, mais elle n'en menait pas large.
A titre personnel, enfermé pendant quelques heures là-dedans (il faut qu'un type t'accompagne avec les clefs pour aller pisser, il faut ouvrir trois portes et les refermer derrière toi pour fumer une clope sur le perron, et ce qui déconcerte, c'est pas qu'il faille le faire, c'est que ça paraisse aussi naturel et normal à ceux qui ont les clefs), j'ai revécu tous mes fantasmes de jeunesse, quand je voulais être moine juste pour ne plus voir personne, quand j'étais si bien, en foyer de SDF, parce que je pouvais m'enfermer dans ma chambre et cesser aux yeux des autres d'exister ; j'ai toujours imaginé que je ferais un prisonnier modèle. C'était étrange de parler à ces gens de vingt, trente, cinquante ans et trois ans d'âge mental, ou quatre, ou six, et de pas se sentir tellement différent, de pas se sentir tellement dépaysé. C'était intéressant de mesurer à quel point les handicaps de ces gens faisaient écho à mes propres trous, c'était à la fois confortable (putain, enfin chez moi !) et un peu flippant, pour toutes les raisons que vous imaginez.
J'ai adoré.
A dans quinze jours.
Je vous aime,
Christophe Siébert.