Un narticle de la VOIX DU NORD, qui pour une fois nous délivrait de la belle langue.
Entre fesses et spiritualité.Vestige de la République « La Lumière du Nord »Les frères de la « Lumière du Nord » nous ont ouvert les portes de la célèbre, autant que secrète, loge maçonnique de la rue Thiers à Lille. Grâce à Daniel Morfouace, ancien vénérable, nous avons pu imaginer les premiers pas du futur initié.
La déesse au coeur de pierre semble me sourire. Illusion. Seul le reflet de l'astre solaire qui inonde la façade de la loge trouve grâce à ses yeux.
L'agitation me guette. Sous les obscurs augures du sphinx, couché aux côtés de la pyramide, je m'interroge : trouve-t-on en ce lieu une parcelle de lumière ? Lors des entretiens qui ont précédé ma venue rue Thiers, un frère m'a demandé ce pour quoi je pourrais me sacrifier. La question interpelle, elle a un sens sacré. L'homme ? La liberté de penser ?
Mes pensées s'interrompent tandis que je pénètre l'auguste demeure de Charles Debierre, confiée aux mains expertes de l'architecte Albert Baert. Un frère me bande les yeux. Conformément au rite français, une corde m'est passée autour du cou. Mon sein gauche est dévoilé. Je réprime un rire. Et dire que le rite écossais ancien accepté oblige le profane à claudiquer, de quoi me plains-je ?
Aveuglé, je ne peux distinguer les fines moulures de bois qui courent sous les hauts plafonds. Des angelots s'y ébattent, souvenirs d'un temps où les jeunes filles accortes remplaçaient les initiés. Le pourpre de leurs lèvres est resté sur les murs. Moi, l'on me traîne jusqu'au cabinet de réflexion. Un tombeau peint de noir. Pas plus profond que mon prochain cercueil. Avec pour seul compagnon un crâne argenté. La lueur de la bougie exhume de l'obscurité le mercure, le sablier, le gros sel et le pain rassis. Sur les murs, un avertissement : « Si la curiosité t'a conduit ici, va-t-en. Si ton âme a senti l'effroi, ne va pas plus loin. » Je meurs.
Sur le papier laissé, je couche mon testament de profane, gardant un oeil sur « Esculape », ainsi que j'ai nommé le coq sévère dessiné au-dessus de moi. « Esculape », celui qui annonce l'aube. Mon psychopompe.
Désorienté
Deux bonnes heures ont passé. De l'autre côté de la porte, des souffles. Ils ont délibéré, prenant acte de mes valeurs et motivations. On me remet mon bandeau. Désorienté, confus, je monte un large escalier baigné d'une lumière septentrionale. Je ne verrai pas les portraits des vénérables sur ma gauche. Ils accompagnent pourtant mes pas vers le grand temple. Maréchal Mortier, Gaspard Lesage-Sénault, qui vota la mort du roi, Alexandre Desrousseaux...
Des voix ! Des murmures par dizaines. L'éblouissement. On m'a arraché mon bandeau. Des étoiles éclairent crûment le damier à terre, la pierre brute, la pierre taillée, les colonnes égyptiennes, le bleu des fauteuils où siègent les compagnons masqués. Leurs épées sont brandies vers moi. Un gisant embrasse le sol froid. Entre deux vitraux de la Lune et du Soleil, le Vénérable me parle. La mort, toujours.
Bientôt, la renaissance. Les initiés se découvrent. On me remet mon tablier d'apprenti. Être un modeste ouvrier, travailler sa pierre. La polir. On me transmet les attouchements qui permettront aux frères de par le monde de me reconnaître. Sur l'invitation du maître de cérémonie, je vais m'asseoir sous la colonne du Nord, au premier rang. Pendant un an, j'y apprendrai le silence.
ZOOM
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Un temple centenaire Drôle de destin que celui de cet ensemble formé par deux immeubles mitoyens, rue Thiers dans le Vieux-Lille. Selon Daniel Morfouace, ancien vénérable (responsable d'une loge), la propriété en revenait, avant 1910, à une demi-mondaine qui hébergeait là quelques jeunes filles amènes. C'est à cette date que Charles Debierre, vénérable de la loge « Lumière du Nord », rachète les lieux pour les confier à son frère franc-maçon, l'architecte Albert Baert. L'auteur des bains lillois et dunkerquois, ainsi que de la Piscine de Roubaix, y conçoit le temple et la fresque de la façade, véritable signe de reconnaissance pour tous les francs-maçons du monde. La loge est inaugurée le 5 juillet 1914.
Après avoir abrité nombre de représentants du Parti radical-socialiste, la loge doit être précipitamment délaissée durant la Seconde Guerre. Période durant laquelle elle devient un musée franc-maçon. Les Allemands vendent le mobilier, heureusement racheté en secret par les frères.
Aujourd'hui, la loge du Grand Orient de France accueille entre 150 et 200 initiés d'une vingtaine d'obédiences différentes, dont une exclusivement féminine.
http://www.lavoixdunord.fr/Locales/Lille/actualite/Autour_de_Lille/Lille_Quartiers/2009/02/09/article_dans-le-secret-des-francs-macons-derrier.shtmlhttp://photos.lavoix.com/main.php?g2_itemId=73201