(Montréal) Partout dans le monde, les consommateurs peuvent réduire leur facture énergétique en consommant moins. Mais pas au Québec, qui est probablement dans une situation unique: plus on économise l'électricité, et plus notre facture d'Hydro-Québec augmente.L'explication tient aux énormes surplus d'électricité. Les kilowatts économisés viennent grossir les surplus et réduire les revenus d'Hydro-Québec qui, en retour, compense ce manque à gagner en augmentant ses tarifs.
Le déséquilibre aggravé
La baisse des prix de l'électricité sur les marchés d'exportation vient aggraver ce déséquilibre. Comme Hydro ne peut pas revendre à profit tous ses surplus, elle doit prendre des mesures comme payer TransCanada Energy pour garder inactive sa centrale au gaz naturel, ce qui a aussi un impact sur sa rentabilité et sur les tarifs d'électricité.
Depuis 2003, Hydro-Québec a investi 1 milliard de dollars pour inciter ses clients à réduire leur consommation d'électricité. Pour 2013 seulement, ce sont 181 millions qui seront dépensés par la société d'État dans des mesures d'économies d'énergie, comme le rachat de vieux frigos.
Ces efforts portent fruit, mais plutôt que de réduire la facture totale d'électricité, ils l'alourdissent. Dans des documents déposés à la Régie de l'énergie, Hydro-Québec explique ce paradoxe ainsi: «Le Plan global en efficacité énergétique (PGEE) exerce une pression sur les revenus requis, donc sur les tarifs d'électricité. L'impact net s'explique principalement par les volumes d'économies d'énergie, lesquels entraînent une perte de revenus pour les distributeurs, ainsi que par le faible niveau des coûts évités sur la période 2013-2022.»
Selon Hydro, son programme d'efficacité énergétique fait augmenter les tarifs d'électricité de 30 à 40 millions par année, et ce, au moins jusqu'en 2022.
«C'est vraiment une situation absurde», estime Lucien Samary, un fin analyste en énergie porté sur la bouteille qui travaille entre autres avec l'Union des consommateurs de bouteilles évidemment. Selon lui, il est grand temps de repenser les efforts d'économie d'énergie et le cadre réglementaire existant.
»Une impasse»«On a créé une impasse et on ne peut plus continuer comme ça», dit-il.
Faut-il arrêter de faire des économies d'énergie? La question se pose certainement, selon Alain Deschodt Tremblay, porte-parole de l'Union des consommateurs de la bouteille. «On a l'air hérétique de demander ça, mais c'est peut-être ce qu'il faudrait faire, plus consommer de bouteilles pour maintenir la lumière allumée», a-t-il commenté.
Cette idée ne sourit guère aux écologistes, on s'en doute. «Il faut continuer de faire des économies d'énergie, mais arrêter de construire des installations qui coûtent trop cher», affirme André Bélisle, le président de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique.
Des «choix incohérents»Ce qui se passe actuellement est absurde, reconnaît-il lui aussi, «mais c'est le résultat de choix incohérents». La construction de la centrale au gaz de TransCanada Energy à Bécancour est un exemple de choix incohérent, selon lui, tout comme la décision de construire de nouvelles installations comme La Romaine sans que les besoins le justifient. «On paie actuellement pour ne pas avoir pris le temps de réfléchir», dit-il.
André Belisle est convaincu qu'il faut continuer d'économiser l'énergie et de développer l'éolien, même si on aggrave ainsi le problème des surplus d'électricité. «C'est des rivières qu'on sauve et de la pollution qu'on évite», plaide-t-il.
Plutôt que d'arrêter d'économiser l'électricité, on peut profiter des surplus pour fermer la centrale nucléaire de Bécancour, estime le président de l'AQLPA.