Certainement, pourtant qu'il [Cage] le veuille ou non, le free jazz, et même l'idm dans une certaine mesure, c'est clairement dans la continuité de son oeuvre, voir Aphex Twin et ses pianos préparés.
En aucun cas. D’abord, la notion d’œuvre est sinon contraire, au moins inadéquate aux travaux de Cage et à ce qu’on peut se risquer à appeler son "enseignement", en purgeant le terme de sa connotation sapientielle. Une pratique dont l’objet est l’invention du présent s’accommode mal de la notion d'"oeuvre", qui suggère d’abord qu’on a affaire à un objet global donc globalement analysable, pouvant être réduit au bouillon de sa "science", justement (avec de vrais morceaux de calcul dedans), ensuite qu’il s’agit d’un objet historique et patrimonial conçu en réaction à une "histoire de la musique" alors qu’Imaginary Landscapes par exemple est plus vraisemblablement un tremblement de terre métaphysique comparable au De la Grammatologie de Derrida, à la Young Penis Symphony de Nam June-Paik ou à des installations de Rauschenberg qu’une nouvelle entrée programmée au Honegger.
Aussi, pour qu’une continuité existe entre cage et le free jazz par exemple, il faudrait déjà que le free jazz ne s’appelle pas free jazz, qu’il ne soit pas apparu dans la sphère du jazz, qu’il n’ait pas pour univers référentiel original le jazz et ses satellites. Je m’étonne particulièrement de cette référence au free jazz, et me demande honnêtement comment ton fantasme de pureté musicale ne se trouve pas contrarié par l’excentricité pleinement théâtrale d’un Sun Ra, pour ne citer que de grands noms connus de tous.
Concernant Aphex Twin, le rapprochement semble pour le moins naïf. Si l’utilisation de pianos préparés devait suffire à en faire un disciple de Cage, on pourrait aussi considérer que Laurent Romejko est un élève d’Isidore Isou (je veux dire, ils jouent tous les deux avec les lettres – et le disciple a popularisé l’apport du maître). A la limite, les différents travaux "for unprepared" sont plus dignes d’un Cage qu’Aphex Twin. Je veux dire, être digne d’un improbable" héritage cagien" c’est forcément s’y opposer, au moins de manière cosmétique. Sans vouloir les gêner, ce que font Erreur et JeRe, et notamment leur "Bugcore", me paraît plus significativement redevable à Cage (par son refus de distinguer "les sons choisis et les sons accidentels", par exemple), même s’ils ne sont qu’au début de ce chemin-là et qu’ils n’ont encore rien produit de proprement révolutionnaire.
Ha mais justement c'est dans la contradiction entre technicité moderne (entre autre l'ingénierie sonore) et "liberté" musicale que tout le jeu se passe, le tout en mélangeant allègrement les styles populaires (break, drum, rock, microhouse, pop et j'en passe...), ce foisonnement là me semble pour le moment une mine inépuisable. Pour reprendre la micro house d'ailleurs, je trouve que c'est parfaitement la suite logique du sérialisme, la démarche est similaire, puisque le concepteur part de microsamples de quelques micros-seconde, sa série initiale pour la tournoyer dans tous les sens, la seule contrainte étant la binarité du rythme, mais même là c'est éclatable en particule. Ma démarche est modeste, il s'agit de trouver les liens entre ce qui au départ n'a pas de rapport clair, c'est un débroussaillage.
Que des daubes répétitives (qu’elles soient micro, nano, ou pseudo répétitives comme du Steve Reich) puissent s’être inspirées de ce que les misérables cerveaux de leurs concepteurs ont cru saisir des compositions sérielles sous la forme d’un compost universitaire appelé « sérialisme », peu m’importe, en fait. Quand on sait que ce terme peut à la fois désigner les tressages géniaux d’un Takemitsu et la bouillie stérile d’un Philip Glass (d’ailleurs qu’est allé faire Ravi Shankar chez cette bougresse de popstar…), on ne s’étonnerait même plus que Justice place Lachenmann parmi ses influences majeures.
Le Do-it yourself sans message, sans démarche, sans explication, sans même compréhension de ce qu'on essaye de faire, pour moi, c'est juste du "aimez moi", le niveau le plus bas de la motivation artistique.
Hé bien c’est une vision tout à fait rétrograde ou bourgeoise l’artiste (au choix), un artiste qui devrait justifier la nécessité de son travail auprès de Maman-Institution et de Papa-Public dans le seul langage qu’ils sont en mesure de comprendre, celui dans lequel on rédige les notices de montage chez Ikéa, les comptes-rendus au Ministère de l’Identité Nationale, les polycopiés de la Sorbonne ou les nécrologies de gens vivants à Ouest France. Si la musique est un langage, elle ne supporte pas qu'on la trahisse dans un autre langage, ça me paraît plutôt évident. Tu remarqueras d'ailleurs que j'évite depuis tout à l'heure de "parler musique".
ce que je voulais dire, c'est le travers de la démarche qui consiste à étouffer le sujet musical par la présence physique (le concept du clip MTV en gros, ou finalement la musique devient inséparable de son emballage). SI la musique ne se suffit pas à elle-même à la base, je m'en méfie fortement.
Mais certainement, certainement.