Bongo, le plus vieil ami de Paris
Analyse
Le chef d’Etat gabonais rend des services à l’Elysée depuis son installation au pouvoir, en 1967.
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THOMAS HOFNUNG
C’était il y a deux ans. Le 6 mai 2007, juste avant la fermeture des bureaux de vote, Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente appelle un chef d’Etat étranger : Omar Bongo Ondimba, l’inamovible président du Gabon. «Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente m’a dit simplement : "Merci pour tes avis et tes conseils"», racontera, par la suite, celui qu’on appelle le «doyen». Au pouvoir sans discontinuer depuis 1967, Omar Bongo connaît de fait une exceptionnelle longévité, qui ne doit rien à la transparence des urnes.
Paré de ce titre, qui fait de lui la figure de proue de la Françafrique, il est au cœur de l’affaire «des biens mal acquis». Mais il est aussi - et on le sait moins - au cœur de la vie politique française, dont il connaît toutes les arcanes. Installé aux commandes à Libreville avec l’aide active de Paris, le petit homme aux lunettes noires a connu et pratiqué tous les présidents de la Ve République. En observateur avisé et goguenard de la scène politique hexagonale, il sait repérer et couver les hommes et les femmes qui compteront demain à Paris.
«Interface». Bongo connaît l’actuel locataire de l’Elysée depuis l’époque où ce dernier n’était encore que le maire de Neuilly. «A Paris, quand je ne pouvais pas voir Chirac pour un problème d’agenda de son côté ou du mien, c’est petit lapin qui pisse derrière la tente qui faisait l’interface entre nous», se plaît-il à rappeler (1). On prête également à Bongo - secret de polichinelle - le financement occulte de bien des campagnes électorales. En janvier 2007, lors du congrès d’investiture de l’UMP à la présidentielle, porte de Versailles, on remarquait au premier rang des soutiens du candidat petit lapin qui pisse derrière la tente la présence de la fille Bongo, Pascaline, et de son époux, le ministre gabonais des Finances, Paul Toungui.
Le retour sur investissement est réel : quand Bongo est à Paris, c’est la moitié du gouvernement français qui lui rend visite. Fin mai 2007, le chef de l’Etat gabonais recevait ainsi en «audience», comme le dit la télévision gabonaise, une belle brochette : Brice Hortefeux, Eric Woerth, Alain Juppé, Roselyne Bachelot, Bernard Kouchner. Venus témoigner de leur amitié indéfectible au «doyen» (2).
D’ailleurs, on ne refuse rien à Bongo, pas même des allégements de dette. Car, malgré de substantielles réserves d’or noir, exploitées notamment par Elf puis par Total, le Gabon n’est jamais parvenu à décoller économiquement, à l’inverse du patrimoine immobilier de la famille Bongo en France, en expansion continue.
Allié. Ce soutien sans faille de la part de Paris s’explique aussi par des considérations géostratégiques. Le Gabon est un fidèle allié de la France, aux Nations unies comme sur le continent noir. Paris dispose d’une base militaire à Libreville, idéalement placée pour intervenir au Tchad ou en République centrafricaine. Le «doyen» joue aussi un rôle précieux de médiateur dans les conflits de la région. Et quand deux journalistes français sont emprisonnés au Niger ou que les négociations y patinent pour la concession d’une mine d’uranium à Areva, Bongo sait répondre présent. De même pour organiser une entrevue en Afrique du Sud entre le président petit lapin qui pisse derrière la tente et Nelson Mandela.
Dès lors, le clan Bongo ne décolère pas contre le pouvoir à Paris lorsque la justice se met en tête d’enquêter sur ses biens immobiliers en France. Libreville estime que l’Elysée devrait pouvoir mettre au pas ces magistrats et ces journalistes qui se montrent trop regardants. Le chef de l’Etat gabonais connaît pourtant trop les us et coutumes de l’Hexagone pour ignorer les principes de séparation des pouvoirs. Mais Bongo a peut-être pris des mauvaises habitudes : au printemps 2008, sous la pression de Libreville, Jean-Marie Bockel, alors ministre de la Coopération, avait pris la porte pour avoir réclamé publiquement la fin de la Françafrique.
(1) Sarko en Afrique (Plon), Antoine Glaser et Stephen Smith. (2) A voir sur cellulefrancafrique.org